Culture

Perfect Days - prix oecuménique Cannes 2023
Perfect Days - Prix œcuménique Cannes 2023
(de Wim Wenders. Allemagne/Japon, 2023, 2h03. Avec Koji Yakusho, Min Tanaka, Arisa Nakano, Tokio Emoto, Tomokazu Miura. Festival de Cannes 2023, compétition officielle, prix du jury œcuménique et prix d'interprétation pour Koji Yakusho)
28 novembre 2023 (Philippe Cabrol) - Touchant et bercé par un sens de la contemplation du quotidien, Perfect Days est un film minimaliste et teinté de musique rock des années 1960, où le bonheur s’expérimente dans le goût des choses simples. Le titre de ce long métrage est donné par la chanson célèbre de Lou Reed.
C’est le retour de Wim Wenders, qui n’avait pas tourné de fiction depuis six ans, au Festival de Cannes, où il reçut la palme d’or et le prix du jury œcuménique en 1984 pour Paris, Texas. Ce film est né d'une commande passée à Wim Wenders par la municipalité de Tokyo autour des toilettes publiques du quartier de Shibuya. Plutôt que de tourner le court-métrage initialement prévu, le cinéaste passionné par le Japon (il avait tourné 35 ans plus tôt,Tokyo-Ga, un documentaire en hommage à Ozu) a réalisé une fiction centrée sur le quotidien d'un agent d'entretien, salarié de la société The Tokyo Toilet.
Pour ce premier long-métrage tourné au Japon, Wenders raconte le récit d’un nettoyeur de toilettes publiques à l’âme solitaire et travailleuse. Hirayama travaille à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo. C’est un taiseux, un employé modèle qui aime le travail bien fait. Cependant son passé va ressurgir au gré de rencontres inattendues. Peu bavard, attentif, sans jugement, généreux, serviable, Hirayama s’épanouit dans une vie simple, et un quotidien très structuré. Il accomplit un travail ingrat, qu’il n’a pas de honte à faire à la perfection. Il y trouve un sens profond, philosophique, dans la contemplation de l’instant présent. Consciencieux, il se contente de peu.
Tout est ordonné, tant dans son appartement que dans ses journées rythmées par des rituels bien précis. Chaque journée est structurée par des habitudes qu’il répète inlassablement et commence de la même façon : un regard vers le ciel, une boisson, un travail, et de la musique. Lorsqu’il sort de son immeuble pour se rendre au travail, il regarde le ciel et il sourit. Pour sa pause-déjeuner, il se rend toujours dans le même parc, sur le même banc, pour lire un livre et photographier les variations de la lumière dans les feuilles des arbres.
Hirayama entretient une passion pour la musique surtout des chansons rock des années 1970 (les Rolling Stones, Otis Redding, Lou Reed, Patti Smith…) qu’il écoute sur de vieilles cassettes audio. Homme cultivé, il aime lire, notamment Faulkner ou Patricia Highsmith. Il s’émerveille devant la beauté des arbres qu’il aime photographier. Si cet homme est un solitaire, il n’est pas malheureux. Par les gestes du quotidien, par l’admiration du mouvement du soleil à travers les feuilles, l’univers de Hirayama est en harmonie avec son environnement. Attentif au monde qui l’entoure, il en remarque toujours la beauté.
L’attention qu’il porte aux autres alors que ceux-ci l’ignorent fait de lui un homme digne. Invisible parmi les invisibles, cet homme est transparent à leurs yeux. Mais il n'est même pas du genre à se plaindre. Hiriyama est une belle personne, faisant de chaque journée une réussite selon ses propres mots. Ce film nous entraîne dans les rues de la capitale japonaise, faite de rencontres furtives, d’un quotidien immuable. On ne saura rien de cet homme mutique, de son passé familial visiblement douloureux.
Perfect Days est une balade poétique et spirituelle, faisant le portrait d’un homme sans histoire, digne et souriant. L’enjeu de Wim Wenders est de montrer que le bonheur se trouve dans les choses simples de la vie. En effet, le bonheur pour Hirayama n’est ni dans le paraître, ni dans l’argent, ni dans l’ambition sociale, mais dans les petits riens du quotidien. C’est seulement une joie de vivre qui se conjugue au présent, avec simplicité et passion. Avec cette histoire profondément sensible et humaine, Wim Wenders nous offre une réflexion émouvante et poétique sur la recherche de la beauté dans le quotidien. La mise en scène est délicate et rend sensible le quotidien de cet homme.
Grâce à un style naturaliste, un rythme lent et contemplatif, le cinéaste capte la douceur de la lumière naturelle à la perfection. Le film montre la beauté du quotidien dans sa plus grande simplicité. Tout est beau dans ce film : les plans de Tokyo, la musique, la bienveillance de Hirayama, son visage et ses sourires, les regards portés par le héros sur le monde. Ode à l'ici et maintenant, ode à la nature, ode à la vie, ode à la poésie du quotidien, ode à la sérénité, Wim Wenders signe un film lumineux. Deux ans après la covid, le cinéaste allemand fait le choix de rappeler nos fondamentaux : profiter de la vie, profiter de ce que nous offre le monde.
Lors de la 76° édition du Festival de Cannes où Perfect Days était en compétition, il a reçu le prix du jury œcuménique, avec le commentaire suivant : Ce chef d’œuvre cinématographique est un bijou aux nombreux attributs poétiques. A travers les différents personnages, le réalisateur nous transmet un puissant récit sur l’espoir, la beauté et la transfiguration dans le quotidien de nos vies. La dignité du personnage principal, l’accomplissement de son travail effectué avec application, mais aussi son respect à l’égard des autres et son émerveillement face à la nature, dépeignent des valeurs universelles trop souvent déficientes dans nos sociétés contemporaines. Ce film est une pure grâce.
Les membres du jury œcuménique 2023 : Néstor Briceño, Président (Vénézuela), Anne-Laure Filhol (France), Katia Margerie (France), Alberto V. Ramos Ruiz (Cuba), Joel Ruml (République tchèque), Jane Stranz (Grande-Bretagne).
Philippe Cabrol

La Rivière
(de Dominique Marchais. France, 2022, 1h44. Documentaire)
22 novembre 2023 (Magali Van Reeth) – En prenant l'exemple particulier d'une des rivières du sud-ouest de la France, le réalisateur remonte le cycle de l'eau. Loin de tout militantisme, un constat scientifique par moments accablant mais où des raisons d'espérer existent.
Dans le miroir fascinant de la surface de l'eau, dans les bouillonnement des torrents, en cheminant sur les berges, de l'estuaire de la mer et en remontant jusqu'aux sources des torrents dans la montagne, Dominique Marchais rencontre des passionnés de pêche, des agriculteurs, des gardes forestiers, des chercheurs, des étudiants, des amoureux de ces cours d'eaux qui traversent la région du Béarn.
Ce ne sont pas des activistes, encore moins des partisans de méthodes violentes. Ce sont des pêcheurs amateurs, des passionnés de la nature, des contemplatifs. Leur discours est calme, pondéré, ils citent leurs sources, vérifient leurs données et tous constatent la même chose : les cours d'eau sont en danger. Réchauffement climatique, pompages agricoles, barrages, restructuration des berges, déversements chimiques, les raisons sont nombreuses pour faire baisser le niveau de l'eau et faire disparaître l'avifaune locale.
Cette promenade au bord de l'eau réserve de jolies surprises. L'odyssée des saumons sauvages, entre rivière et océan, qu'on peut lire dans leur oreille interne, la destruction d'un barrage antique, la beauté des mouches pour la pêche au lancer, une nuit à la belle étoile pour capturer des insectes volants, ou la randonnée sous la pluie pour aller mesurer les restes d'un glacier.
Très vite, on comprend que ce qui se joue dans le bassin du gave d'Oléron, dans le sud-ouest de la France, se joue ailleurs aussi, et peut-être de façon encore plus dramatique. Avec un parti pris de ne pas faire de ce documentaire une leçon de choses ou de morale, en prenant soin d'éveiller la curiosité du spectateur au lieu de la gaver de chiffres et de conclusions, Dominique Marchais prend le parti de ne pas tout expliquer, de ne pas tout dire et de laisser chacun se positionner, mener sa propre enquête une fois le film terminé. Un nécessaire moment de cinéma.
Magali Van Reeth