(d'Ali Cherri (collaboration de Bertrand Bonello). France/Soudan/Allemagne/Serbie, 2022,1h21. Avec Maher El Khair, Mudathir Musa, Santino Aguer Ding. Sélection Quinzaine des réalisateurs Cannes 2022 et Festival international de Mannheim-Heidelberg 2022)

 

 

1 mars 2023 (Chantal Laroche Poupard) - L’aspiration à la liberté peut nourrir une révolution intérieure : c’est le cas pour ce premier superbe long métrage, tourné au Soudan, et élaboré dans une construction énigmatique, presque mythologique d’une grande beauté sculpturale.

 

 

Une longue et superbe séquence vient décrire minutieusement le travail monotone d’ouvriers africains dans une briqueterie près du barrage de Merowe situé en amont de la quatrième cataracte du Nil au Nord de Khartoum ; on découvre l’existence besogneuse de ces humains coupés du monde qui travaillent dur sous un soleil de plomb. La caméra circule entre les corps de ces ouvriers silencieux et les briques issues d’eau et de boue façonnées et pétries ; les gestes des ouvriers sont répétitifs et précis. La méthode du séchage des briques est archaïque mais efficace et nécessite un travail d‘équipe. Une route poussiéreuse traverse ce paysage isolé, désertique, interrompu par d’immenses rochers brûlés par le soleil qui plombe l’horizon infini. Après leur journée de labeur, les ouvriers se baignent dans les eaux du Nil.

 

 

 

La caméra se focalise alors sur l’un des ouvriers, Maher (Maher El Khair) qui ne se baigne pas mais téléphone, tandis qu’à la radio, les bulletins d’informations évoquent les révoltes et les manifestations contre la dictature du président du Soudan Omar al-Bashir, renversé après le coup d’état de 2019. Dans une urgence qui reste à cet instant énigmatique, Maher saute sur une moto qu’il a empruntée et se dirige vers le désert.

 

Le film prend alors une tournure fantastique : Maher arrive à destination, se poste devant l‘immense construction de boue qu’il a commencé à bâtir chaque nuit, tandis que celle-ci se met à parler. La nature reprendrait-elle ses droits en réagissant à l’emprunte de cet homme sur la terre façonnée ou bien à l’action des humains qui vont contre elle en stoppant l’eau au barrage de Merowé ? Peut-on voir ici une allusion symbolique à l’auteur Alan Moore dans la B.D. Swamp Thing, où un parlement composé d’arbres réagit à la destruction de la terre par l’homme ? Est-ce cela qui pousse-t-elle Maher à vouloir se libérer de ses démons et de ce travail d’esclave ? 

 

Rappelant Les trois métamorphoses de Frédéric Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra où le chameau dans le désert dit « je dois » et se transforme en lion rugissant qui dit « je veux », une séquence impressionnante montre Maher se révoltant violemment tandis qu’il prend son destin en main et vit sa révolution intérieure : le réalisateur traduit avec puissance l’élan de libération de cet homme et ce par des symboles universels : le feu qui embrase, l’eau qui purifie et la terre qui nous rappelle notre condition humaine.

 

Pensé comme un tout, ce long métrage de Ali Cherri, est présenté comme le troisième volet d’une trilogie. Les deux premiers volets, The Digger et The Disquiet sont des courts métrages qui expliquent en quelque sorte la portée symbolique parfois énigmatique du message de la nature, ''l’homme faisant partie d’un paysage qui l’accable tout en dépendant de son aide''. 

 

Accompagné de son photographe Bassem Fayad, Ali Cherri nous a menés dans un désert grandiose et lumineux ressemblant à un tableau dans lequel chaque cadre pourrait être découpé et exposé dans une galerie d’art. Né à Beyrouth et installé à Paris, Ali Cherri est non seulement réalisateur mais également plasticien ; il a été artiste en résidence à la National Gallery à Londres (2021/2022).

 

Superbe travail d‘images symboliques sculptées, le film Le Barrage a été lauréat du Lion d’argent de l’artiste prometteur à la 59e exposition internationale d’art de la Biennale de Venise (2022) ; il a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes et sélectionné pour la section On The Rise du Festival International de Mannheim/ Heidelberg. 

 

 

Chantal Laroche Poupard