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(de Giacomo Abbruzzese. France/Belgique/Italie/Pologne, 2022, 1h31. Avec Franz Rogowski, Morr N'Diaye, Laetitia Ky, Leon Lucev, Matteo Olivetti. Berlinale 2023 compétition officielle)
3 mai 2023 (Anne Le Cor) - Il y a des rencontres sensuelles et explosives, d’autres plus sombres et tragiques. C’est de tout cela dont il est question dans Disco Boy, le premier long-métrage du réalisateur et scénariste italien Giacomo Abbruzzese. Des gens qui n’auraient jamais dus se rencontrer en viennent à se retrouver face à face. Et, à travers eux, ce sont deux continents, deux mondes et deux civilisations qui se foudroient.
Aleksei quitte sa Biélorussie natale pour s’engager dans la Légion Étrangère. En quête d’un nouveau départ, d’une nouvelle vie qui lui offrirait un avenir, il se retrouve, au cours d’une mission, plongé au cœur des ténèbres du continent africain. Dans le delta du Niger, le jeune Jomo mène une guérilla contre les compagnies pétrolières qui ravagent les beaux paysages de son pays. Il joue les durs et prend des otages étrangers. Mais son rêve serait d’être un danseur de disco. Lui et sa sœur Udoka ont bien conscience des limitations de leur situation. Elle, voudrait aller à l’université en ville. Pour tous les deux, l’espoir d’une vie meilleure a un nom : l’Europe.
À priori, nos protagonistes n’auraient aucune chance de se croiser dans la vraie vie. Mais la magie du cinéma va rendre possible l’impossible. La rencontre entre Aleksei et Jomo sera fatale. Filmée sous l’eau et de nuit à travers les jumelles de vision nocturne du légionnaire, leur bagarre à mort, teintée d’une lumière thermique verte, est une scène d’anthologie. Le film prend alors des tournures expérimentales et offre des aspects visuels puissants. La directrice de la photographie, Hélène Louvart, a d’ailleurs reçu l’Ours d’Argent de la meilleure contribution artistique à la Berlinale.
Les images, notamment celles de l’Afrique, sont grandioses, la musique est tantôt tonitruante tantôt envoûtante et les acteurs sont excellents. Dans le rôle d’Aleksei, on retrouve l’acteur allemand Franz Rogowski. Il joue subtilement la bascule entre la naïveté du jeune orphelin européen et le bouleversement total qui l’étreint à son retour d’Afrique. Son adversaire d’un jour, Jomo, est incarné par le Gambien Morr N’Diaye. Sous ses allures de gros dur, le personnage ne manque pas d’humour et de recul ni d’une certaine innocence à la fois réaliste et touchante.
Sa sœur Udoka est interprétée par la mannequin et influenceuse ivoirienne Laëtitia Ky. Elle semble incarner l’Afrique à elle toute seule et personnifier le fantasme qu’elle créé chez les Européens. Le symbolisme est fortement marqué dans le film qui prend parfois des allures d’Apocalypse Now. La magie de l’Afrique agit sur le spectateur tout comme elle envoute Aleksei. La liberté d’interprétation est totale et chacun y opèrera ses propres transferts d’exotisme et d’appropriation. Disco Boy, le jeune Africain, pénètre le corps et l’âme du légionnaire. Udoka semble reconnaître son frère en lui. Les deux jeunes gens se laissent happer par la danse comme entraînés dans une transe mystique dans un final époustouflant.
Disco Boy, le film, va au-delà des stéréotypes habituels sur l’Afrique et offre une véritable expérience presque psychédélique et sensuelle du choc des civilisations. La force de la musique et de la photographie ajoute à la puissance d’une mise-en-scène originale et rythmée. Giacomo Abbruzzese fait d’un premier film un coup de maître remarqué.
Anne Le Cor