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(d'Alexandre Abaturov. France, 2022, 1h28. Documentaire)
30 août 2023 (Magali Van Reeth) – On oublie parfois que le changement climatique affecte aussi les zones les plus humides et les plus froides de notre planète. La Sibérie, depuis plusieurs années, est victime d'immenses feux de forêts, et ses habitants sont particulièrement démunis face à ce ''dragon''.
Avec la superbe photo de Paul Guilhaume, le réalisateur russe Alexander Abaturov amène le spectateur au cœur du village de Shologon, en Yakoutie, dans le nord-est de la Sibérie. Une région où la neige est abondante, loin du pouvoir de Moscou, abandonnée par les services de l'état et tout au bout de la route. Les habitants sont très solidaires, partagés entre les traditions ancestrales et locales (ils ne parlent pas russe) et l'usage des technologies les plus actuelles (drones, téléphones connectés).
A l'été 2021, après une longue période de sécheresse, le feu prend dans les forêts environnantes. Les villageois savent que l'état n'interviendra pas et doivent se débrouiller seuls, ou presque. L'ampleur du feu est telle qu'il ne s'agit même pas de l'éteindre mais juste de le contenir, de le cerner pour protéger le village et ses habitants, en attendant la pluie ou les premières neiges.
Le réalisateur ne filme pas frontalement les incendies. Tout le film baigne dans une lumière sépia qui n'a rien d'artificiel mais qui est due à la fumée qui envahit l'atmosphère. Le ciel est opaque, tour à tour gris ou orange. Une bande son astucieuse mêle avec brio la musique et les bruits sourds de la nature en feu : crépitement de l'incendie, souffle du vent, craquement des arbres ou percussions, tout semble s'accorder. La forêt brûle et les villageois tentent de résister. Ils parlent du feu comme un être vivant, un dragon qui se réveille brusquement, et apparaît là on ne l'attendait pas, qui fait mine de se reposer et repart soudain, toujours plus dangereux.
On est avec les villageois cherchant une solution, une parade pour encercler la bête. Ils collectent des informations, espèrent un secours, le spécialiste dort dans la salle des fêtes, un jour l'électricité ne fonctionne plus et Shologon est coupé du monde. Ce soir là, à la lumière des lampes de poche, on mange la soupe froide. La caméra suit un groupe qui organise un contre-feu, des femmes qui creusent des tranchées et vont au combat en chansons. Face à la catastrophe imminente, leurs rires en grelot sonnent comme une espérance pour toute l'humanité.
Le film, réalisé avec un financement français, est profondément politique et à charge contre le gouvernement en place. Non seulement parce que rien n'est fait contre le changement climatique mais aussi parce que les zones de contrôle, instituées par Moscou et les gouvernements successifs de Poutine, sont des zones où l'état n'intervient plus en cas de catastrophe naturelle. Les habitants de ces régions ont bien conscience d'être abandonnés par l'état. Comme dans une chanson traditionnelle, ils ne doivent leur salut qu'à la solidarité.
Paradis, par ses images stupéfiantes et les situations qu'il dénonce, est une belle œuvre de cinéma. Il est aussi un message poignant pour alerter face à la fragilité et à la prochaine disparition de ce ''paradis'' que nous partageons tous, d'un bout à l'autre de la planète.
Magali Van Reeth