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(de François Ozon. France, 2021, 1h25. Avec Denis Ménochet, Isabelle Adjani, Khalil Gharbia, Stefan Crepon, Hannah Schygulla. Ouverture Berlinale 2022)
6 juillet 2022 (Magali Van Reeth) – Dans cette libre adaptation d'un film de Fassbinder, François Ozon explore la puissance de la passion, les fondements de l'acte de création et la domination qui pervertit les rapports amoureux. Un film intense, soutenu par la prestation exceptionnelle de l'acteur Denis Ménochet.
De la pièce d'origine et du film du réalisateur allemand Rainer Werner Fassbinder, Les Larmes amères de Petra von Kant (1972), François Ozon garde le côté théâtral, un seul décor, un texte littéraire mais change le sexe et le métier des personnages : Petra devient Peter, cinéaste humiliant sans cesse son assistant et amoureux d'un jeune acteur.
Ozon, comme Fassbinder creuse le sillon d'une passion dévorante entre deux êtres, peu importe leur sexe. Tout commence avec Amir, un très beau jeune homme qui veut être acteur et dont tombe aussitôt amoureux Peter, plus âgé. Prenant prétexte d'un casting, il le fait venir chez lui. Peter s'enflamme comme une allumette et on comprend vite qu'Amir, jeune homme ambitieux, va jouer avec ses sentiments.
Autour de Peter et d'Amir, on trouve Karl (Stefan Crepon), l'assistant personnel du réalisateur, mutique, raide, impassible. Il ne dit pas un mot de tout le film mais il est omniprésent, miroir du spectateur traversé par des sentiments contradictoires ? C'est sur lui que Peter déverse toute sa rage et sa frustration. Il y a aussi Sidonie, l'amie fantasque, l'amie des beaux jours, apprêtée de vêtements, de maquillage et de bijoux somptueux, sans doute pour masquer le vide d'une existence.
Tout le film se déroule dans l'appartement de Peter, une pièce rectangulaire, aux tons bleutés, aux larges fenêtres donnant sur l'extérieur, où s'étalent les saisons. Comme sur une scène de théâtre, il y a quelques marches, pour renforcer la théâtralité des entrées et des sorties de chacun.
Les larmes sont annoncées amères, le ton du film l'est aussi, ce que revendique le réalisateur : ''Fassbinder n’est pas un cinéaste aimable, ses films ne sont pas aimables et je voulais que l’on soit traversé par une diversité de sentiments à l’égard de Peter, que l’on puisse le trouver détestable puis la seconde d’après : émouvant, grotesque, attachant…''. Denis Ménochet l'incarne avec une puissance étonnante. Cet acteur, au physique massif, barbu, poilu, nous émeut aux larmes, nous touche dans son abandon et sa démesure. Ivre d'alcool, de jalousie, de désir, il est bouleversant dans sa quête d'amour, sa souffrance est palpable à l'écran. Une performance, là encore voulue par le réalisateur : ''Je souhaitais mettre en avant la force émotionnelle du texte, ramener dans ma mise en scène une part d’humanité, d’émotion chez les personnages. Je voulais quitter le ''petit théâtre des marionnettes'' de Fassbinder, pour incarner des personnages de chair et de sang''.
Pendant que Denis Ménochet transpire de chair et de sang,l'actrice Isabelle Adjani s'amuse dans le rôle de Sidonie, habillée comme une poupée et se déplaçant comme une starlette ivre de célébrité. Le contre-point parfait au lâcher-prise et à la puissance physique de Peter. De brèves apparitions d'autres personnages, comme Hannah Schygulla, actrice du film de Fassbinder, participent au charme de ce long-métrage, entre fascination et ambiguïté : l'actrice jouait le personnage de l'amante dans le film d'origine. Ceux qui connaissent l’œuvre de Fassbinder retrouvent avec plaisir quelques références, une réplique inchangée. Les autres sont pris par le récit d'une passion destructrice, fascinés par Denis Ménochet qui exprime si bien notre immense besoin d'être aimé, encore une fois, encore et encore, une soif dont on ne se rassasie pas. Il fait de Peter von Kant un personnage puissant, aux émotions violentes, dont la présence nous hante longtemps après la projection.
Magali Van Reeth