Nouvelles Connexes
(d'Oliver Hermanus. Royaume-Uni, 2021, 1h42. Avec Bill Nighy, Aimee Lou Wood)
7 janvier 2023 (Magali Van Reeth) – Inspiré de l’œuvre éponyme d'Akira Kurosawa et transposé dans l'Angleterre de 1953, le film raconte le sursaut de vie d'un homme au seuil de sa mort. Une belle leçon de d'espérance avec une mise en scène brillante, du beau cinéma.
Travaillant depuis des années aux services techniques de la mairie de Londres, Mister Williams s'est installé dans une stricte routine qui rejaillit sur ses collaborateurs : costumes sombres et stricts, cravates sévèrement nouées, chapeaux melon, cannes-parapluies et pas d'humour avant midi, tous se retrouvent sur le quai de la gare, à la même heure chaque matin. Chacun cache son inutilité dans l'absurdité administrative et les piles de dossiers qui s'entassent sur chaque bureau permettent autant de se dissimuler que de montrer son importance.
A domicile aussi, la maison de Mr. Williams est figée depuis la mort de sa femme quelques années auparavant ; et son fils et sa belle-fille attendent avec impatience un héritage leur permettant de quitter cette atmosphère oppressante et s'installer enfin chez eux. Tout bascule lors d'un rendez-vous chez le médecin où Mr. Williams apprend qu'il n'a plus que quelques mois à vivre.
Le film a été réalisé sous les meilleurs auspices avec un écrivain prix Nobel de littérature pour le scénario, Kazuo Ishiguro. Cet auteur, d'origine japonaise, a parfaitement su décrire dans ses romans, la société britannique dont la codification intuitive des classes sociales, la réserve, la pudeur et le strict contrôle des émotions sont très semblables à celles du Japon. Aussi, son talent littéraire et sa double culture faisaient de lui le scénariste rêvé pour transposer en Grande-Bretagne, et au sortir des ravages de la Deuxième guerre mondiale, cette histoire typiquement japonaise que Kurosawa avait aussi inscrite dans les cicatrices de l'après-guerre.
Le réalisateur est le sud-africain Oliver Hermanus dont les films ont été plusieurs fois primés dans les festivals internationaux (dont le prix SIGNIS pour Shirley Adams à Amiens en 2009). Utilisant un format carré - comme la personnalité du personnage principal - sans débordement mais fourmillant de détails, de reflets dans les miroirs, comme un appel vers l'extérieur auquel il n'arrive pas à répondre, Oliver Hermanus soigne les cadres, les lumières, les costumes et les décors. Le Londres des années 1950, encore ravagé par les bombardements et les restrictions, devient un monde vivant, sans pour autant sentir la naphtaline.
Si cette situation, un personnage face à sa disparition annoncé et la façon de l'aborder, est un classique de la fiction, le réalisateur Olivier Hermanus, avec l'aide de Kazuo Ishiguro, a réussi à capter ce qui a fait le charme du film de Kurosawa. Une façon discrète de parler de la transmission : que laisserons nous après notre mort ? L'impossibilité, presque systémique dans certaines sociétés, de l'effusion et du partage d'émotion, de l'incapacité à être heureux, de savourer de bons moments. En laissant en suspens certaines scènes, en plaçant ça et là et de façon très brève, quelques souvenirs qui remontent à la mémoire de Mr. Williams, comme ils reviennent en chacun de nous, Oliver Hermanus donne à son personnage une belle intensité.
Personnage formidablement incarné par l'acteur Billy Nighy : un homme déjà âgé qui n'a pas vu passer sa vie, figé dans ses costumes comme dans ses habitudes, droit et digne même quand il a trop bu, incapable d'annoncer sa maladie à son fils, fasciné par l'aptitude à la vie de Margaret, une des collaboratrices de son bureau. Aucune ambiguïté dans leur relation, il cherche à savoir comment vivre, elle pleure sincèrement cet homme qui va mourir sans avoir su être heureux. Aimee Lou Wood est toute en rondeur, enthousiaste et légère, non pas l'opposée de Mr. Williams mais ce qu'il n'a jamais su être.
Vivre est un film qui nous touche profondément, non pas à cause de la mort mais à cause de ces occasions manquées. Que laissons nous à ceux qui nous survivent ? Un seul moment de bonheur suffit parfois pour accepter l'inéluctable. Mais c'est avant tout un très beau film qui répond astucieusement à l’œuvre qui l'a inspirée.
Magali Van Reeth