(de Patrick Imbert. France/Luxembourg, 2021, 1h30. Avec les voix d’Éric Herson-Macarel et de Damien Boisseau. Adapté du manga éponyme de Jirō Taniguchi.)

 

 

7 octobre 2021 (Élodie Hachet) – Un roman d’aventure adapté en manga, lui-même adapté en long métrage, avant d’être adapté en film d’animation. Telle une poupée russe, le Sommet des dieux s’est habillé de nouveau, traversant les médiums avec dextérité dans le vent, la froidure et la neige, menant en cordée l’histoire de Baku Yumemakura vers une prospère postérité.

 

 

Dans une rue obscure de Katmandou, un mystérieux appareil photo pousse le reporter Fukamachi à enquêter sur Habu Jojî, un alpiniste japonais en possession de l’appareil. Et si la pellicule qu’il contient révélait l’exploit de George Mallory, un des premiers hommes qui aurait atteint le sommet de l’Everest 70 ans auparavant, en 1924 ? Fukamachi, déterminé suit les pas d’Habu dans la neige immaculée. L’enquête est en route.

 

 

À travers le personnage d’Habu, le spectateur explore l’Everest pour explorer son humanité, sa vulnérabilité, lui rappeler qu’il est un être incarné. Lorsque Fukamachi a des pertes de connaissances, à plusieurs reprises, en suivant Habu au-dessus de 7.600 mètres, le manque d’oxygène pour alimenter son cerveau est traduit par une sorte de choc électrique retranscrit par des vagues rouges successives déferlant l’écran. Les maux inhérents à cette « zone de la mort », telles les gelures aux mains et les inflammations de l'œil appelées « ophtalmie des neiges », marquent dans la chair le jeune reporter qui, par erreur, enlève son masque de protection. Cette scène rappelle à l’ordre. Lorsqu'il fait froid et que l'oxygène se raréfie, le corps a tendance à sacrifier le bout des mains et des pieds en fermant l'arrivée de sang aux extrémités. Les parties nobles comme le cœur, les poumons, le cerveau sont alors préservées.

 

Les cadres de Patrick Imbert ont l’audace de nous mettre véritablement en immersion dans ce décor glacé dont les traits allégés inondent de blanc l’écran presque entier. L’alternance entre les plans en altitude et ceux de l’univers de Fukamachi en plein Tokyo, met en évidence la puissance de l’Everest, sa majesté dénuée de tout consumérisme, qui se suffit à elle-même.

 

La musique originale d’Amine Bouhafa nous extirpe un temps de la contemplation et vient donner le rythme haletant au film. Elle offre aux spectateurs la possibilité de ressentir les mouvements intérieurs du personnage d’Habu au caractère si particulier. L’adrénaline du départ est aussi parfaitement illustrée par les sons rythmés, collés à chaque objet rangé dans son sac.

 

 

Finalement au sommet, plus libre et plus lucide, Habu apprivoise cette illusion de croire que son image est quelque chose qui le construit, le définit. L’ascension semble dissoudre cette course mondaine à la reconnaissance, ce besoin de se construire une représentation de soi sublimée par l’exploit. Chaque pas est à cette altitude un effort, le support d’une concentration, et permet au personnage de développer ses qualités intérieures, son « sen shuk », la force de son esprit, à l’instar de l’alpiniste française Marion Chaygneaud-Dupuy, qui a gravi trois fois l’Everest. Derrière le solitaire, le bourru Habu, un grand besoin d’accomplissement de soi apparaît et bascule pas à pas vers un besoin de connexion et d’interdépendance avec la nature. L’orgueil n’atteint pas le sommet, mais Habu, une fois là-haut, est comme purifié et n’a plus qu’à continuer. De l’être humain à la montagne, du corps à la pensée, sur le plus haut sommet du monde, le temps est comme Habu, suspendu, et vient alors le moment de tester sa détermination, de réfléchir aux limites de sa raison et de sa passion, à ce qui l’anime dans cette ascension. Une immersion en 2D dans le monde de l’alpinisme réussie.

 

 

Elodie Hachet