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(de Michele Placido. France/Italie, 2022, 1h58. Avec Riccardo Scamarcio, Louis Garrel, Isabelle Huppert, Lolita Chammah, Michele Placido)
7 janvier 2023 (Magali Van Reeth) – Artiste aux passions multiples et violentes, dans une époque qui l'était tout autant, la vie du peintre Caravage est un roman en soi, porté avec truculence par le réalisateur italien Michel Placido.
Au tournant du 15° et 16° siècle, L'Europe connaissait une période de violence sociale difficile à imaginer aujourd’hui. Dans les quartiers populaires, la saleté côtoyait la misère et la seule espérance d'apaisement et de joie était dans l'au-delà, pour un monde qui croyait et craignait Dieu. Dans une Italie encore morcelé en états, ravagée par les guerres et les épidémies, le pouvoir était au Vatican. La puissance et la richesse des papes et des évêques les éloignaient souvent de la pauvreté et de l'humilité prônées par les évangiles.
En déroulant quelques épisodes de la courte vie de ce peintre génial, Michel Placido rend bien le trouble et la cruauté de cette époque. Il y a peu de lumière dans les rues de Naples et de Rome, dans les tavernes où le Caravage aime boire, faire la fête et trouver ses modèles. Sa peinture, surtout au regard des standards de l'époque, est crue, violente et sombre, tant il cherche à capter la vérité de ses sujets, avec leur part de tourmente et de grâce.
Nourri des récits bibliques, il les interprète avec une modernité stupéfiante. Au lieu de vénérer ces personnages avec une distance respectueuse, les mettant en scène avec componction, il fait de Paul, Madeleine, Matthieu, Marie, François, des apôtres et du Christ des êtres de chair, des vivants, habillés avec les vêtements de son époque, allant pieds nus, parfois terrorisés, parfois vibrant d'une sensualité qui choque les commanditaires.
Car si l'église catholique a toujours accompagné les artistes, certains de ses représentants de cette époque, sachant qu'une prostituée a été le modèle d'une Vierge, ne peuvent accepter de voir les tableaux du Caravage installés dans les églises. Et puis le peintre est un bagarreur notoire et il a dû fuir Rome à la suite d'un duel où il a mortellement blessé un homme. Passant comme lui, de Rome à Naples, puis en Sicile et à Malte, le film embrouille un peu le récit mais souligne cette vie saccadée, d'errance en cavale, de fausse repentance et de vraie passion pour sa peinture.
La mise en scène peut dérouter ou agacer mais le film pose de vraies questions sur l'Art. Pourquoi les institutions catholique ont pu être choquées par des modèles venus du peuple, représentant des personnages bibliques ? C'était pour certains faire offense à la Vierge que de la représenter sous les traits d'une prostituée. Pourquoi même aujourd'hui, la troublante vérité de certains tableaux nous met mal à l'aise ? Dans les tableaux du Caravage, l'ombre et la lumière ont une place essentielle pour montrer la dualité de toute vie. L'Art nous révèle le monde et les ténèbres, à l'image de ce peintre qui fut à la fois un génie et un criminel, un croyant imprégné des textes sacrés, incapable de maîtriser ses pulsions et ses exhalations. L'auteur de tableaux qui, 5 siècles plus tard, nous émeuvent encore.
Magali Van Reeth