(de Margarethe von Trotta. Allemagne, 1981, 1h46. Avec Juta Lampe, Barbara Sukowa. Prix OCIC et Lion d'or Venise 1981) 

 

 

12 janvier 2023 (Magali Van Reeth) – En Allemagne de l'ouest, le destin croisé de deux sœurs dans les chamboulement politiques des années 1970. Que reste-il de l'affection dans des choix de vie aussi opposés ? Un très beau film qui va à l'essentiel, justement récompensé par le Lion d'or et le prix l'Office catholique international du cinéma à Venise en 1981.

 

 

 

La carrière de Margarethe von Trotta est intimement liée à l'Histoire de son pays. Parmi les nombreux films de la réalisatrice allemande, on citera L'Honneur perdu de Katharina Blum (1978), Rosa Luxembourg (1986), Les Années du mur (1995), Rosenstrasse (2003), Hannah Arendt (2013). A chaque fois, des femmes, des hommes pris dans les filets de l'Histoire, des souffrances, des passions, des engagements. Comment l'intimité des personnages est chahutée par les événements extérieurs.

 

 

Avec ce film, Margarethe von Trotta ne cherche pas à raconter la période violente des Années de plomb, ni à en expliquer l'origine mais, à travers le parcours de deux sœurs, les conséquences émotionnelles sur ceux qui les ont vécu de près. Julianne, l'aînée d'une famille nombreuse autour d'un père pasteur et assez strict, a eu une adolescence rebelle. Devenue journaliste, elle est en couple avec un architecte mais refuse le mariage et la maternité, se bat pour la légalisation de l'avortement et le travail des femmes. De son côté, Marianne, plutôt petite fille modèle dans son jeune âge, a eu un enfant qu'elle a ensuite laissé pour s'engager inconditionnellement dans un mouvement terroriste, qui la mènera en prison.

 

 

Au cœur du récit, il y a les visites en prison. Même si Julianne désapprouve entièrement la radicalisation de sa sœur, elle ne peut s'empêcher de lui rendre visite, d'être choquée par les conditions de détention, les fouilles, la suspicion permanente. Marianne reste dans la lutte, bravache, arrogante, humiliant la vie bourgeoise de sa sœur mais revenant chaque mois à ces rendez-vous où elle passe brusquement de la colère à la tendresse.

 

 

Autour d'elles, la société change, l'entourage se lasse, on ne se souvient des activistes des années de plomb que pour s'en moquer. A la mort de sa sœur, Julianne en journaliste qu'elle est, mais aussi pour essayer de mieux comprendre sa sœur, entreprend de retracer son parcours, depuis l'enfance jusqu'à l'engagement jusqu'au-boutiste. Ce faisant, elle sépare la personne de ses actes, se bat pour que la vérité soit faite sur les moments obscurs de la vie de Marianne et tente de réparer la souffrance que ces événements ont imposé.

 

Margarethe von Trotta et les actrices Juta Lampe et Barbara Sukowa

 

 

Un film poignant où l'émotion est toujours tenue à distance. Parce que Julianne sait que sa sœur vaut mieux que ses actes criminels, elle va en faire un récit plus sincère, afin de trouver une sorte d'apaisement, pour elle et pour ceux qui restent. Peu bavard, le film va à l'essentiel de la relation entre les deux sœurs, montrant en peu de scènes cette fracture sociale qui a profondément divisé l'Allemagne, directement liée aux stigmates de la Deuxième guerre mondiale.

 

 

Au Festival de Venise 1981, Les Années de plomb a obtenu le prix OCIC avec la motivation suivante : "En partant de réalités sociales et politiques d'une complexité souvent tragique, le film dessine avant tout le portrait de deux sœurs qui aspirent chacune à un monde nouveau et meilleur. Leur solidarité et leurs liens affectifs réciproques leur permettent de dépasser des options personnelles divergentes."

 

 

Les membres du jury OCIC étaient : Richard Emele (Autriche) Jean-Pierre Wauters (Belgique), Eckhart Deutsch (Allemagne), Barbara Giacomelli (Italie), Ettore Segneri (Italie), Yvan Stern (Suisse), Michael Williams (Grande-Bretagne).

 

 

 

Magali Van Reeth