(de Robert Guégiguian. France/Sénégal/Canada, 2h09. Avec Stéphane Bak, Alice Da Luz)

 

 

14 janvier 2021 (Anne Le Cor) - La sortie en salle d’un nouveau Guédiguian est toujours un événement. Le réalisateur marseillais a tellement marqué son cinéma de son empreinte que son nom est devenu un substantif. Son dernier long-métrage Twist à Bamako est pourtant bien singulier, loin de Marseille et sans ses acteurs fétiches habituels. Pourtant ses prises de position demeurent immuables et le cinéaste-militant offre là un film engagé, féministe et anticolonialiste.

 

Nous sommes à Bamako en 1962. Le Mali vient juste d’accéder à l’indépendance et un climat euphorique règne dans la capitale. Dans cette ambiance de Movida la jeunesse se déchaîne sur les rythmes endiablés du twist et des yéyés qui ont envahi les clubs. Le jeune Samba voit l’avenir en grand pour son pays et rêve de socialisme pour amener égalité et prospérité à tous. Avec deux amis, ils forment une brigade qui sillonne le pays pour distiller ces idées nouvelles dans les campagnes. Mais l’enthousiasme de la jeunesse se heurte vite à la résistance imperturbable des chefferies traditionnelles.

 

 

 

Le cœur du film est avant tout l’histoire d’amour entre Samba et Lara, une jeune fille mariée de force dans son village et en quête de liberté. C’est un amour caché et interdit par les traditions et les lois du pays. Des changements se font de plus en plus visibles mais ce ne sont pas ceux attendus. Au fur et à mesure que l’économie passe sous contrôle de l’état, la population se voit subrepticement placée sous surveillance. De l’aveu même des nouvelles autorités, le socialisme ne marche pas.

 

 

Le constat est douloureux pour Samba, qui rêvait en marchant de changer le monde. Le jeune idéaliste est interprété par Stéphane Bak qui lui prête son large sourire et ses yeux pétillants. Son amoureuse, la jolie Lara, est incarnée par Alice Da Luz dont le jeu oscille constamment entre espoir et fatalité. Son personnage est l’incarnation des violences psychologiques et physiques faîtes aux femmes dans une société qui ploie sous le poids des traditions indéracinables.

 

 

Le film offre aussi une galerie de seconds rôles signifiants ou truculents. C’est le cas des membres de la famille de Samba comme son père, un gros commerçant de Bamako qui accepte mal le changement, ou son petit frère qui prend la vie avec dérision et légèreté. Les visages et les corps des personnages sont de toute beauté tant la photographie est léchée et magistralement mise en lumière. Les paysages montrent un Mali flamboyant et coloré où l’optimisme se lit sur les sourires et où la fraîcheur des personnages s’exprime à travers leurs déhanchements au rythme de Twist again de Chubby Checker ou leur humour innocent. Même les temps plus sombres qui s’annoncent ne ternissent pas la chaleur lumineuse et la joie de vivre des Maliens.

 

 

 

Robert Guédiguian ne déroge pas à son habitude de condamner les maux de la société tout comme les erreurs du passé colonial et ses conséquences dramatiques aujourd’hui. Il montre clairement son point de vue et dénonce les idéaux bafoués, la liberté tronquée et les femmes entravées. Pour Lara et Samba il n’y aura pas de Happy end car les histoires d’amour finissent mal en général et celle-là ne fait pas exception. La petite histoire rejoint en cela la grande et la tragédie qui frappe les amants rattrape aussi le Mali des années après, jetant un voile de pudeur sur toute forme de beauté.

 

 

 

Anne Le Cor