(de Laura Poitras. Etats-Unis, 2022, 1h57. Documentaire. Lion d'or Venise 2022) 

 

 

19 mars 2023 (Magali Van Reeth) – Récits croisés de l'itinéraire personnel de la photographe Nan Golding et de ses combats pour la liberté d'expression artistique et contre ceux qui font impunément du profit sur le dos des plus faibles. Une réalisation fine où le cinéma n'est pas oublié.

 

 

Contactée par Nan Golding pour garder une trace de ses actions et de son combat contre la famille Sackler et leur façon d'agir en toute impunité, la documentariste Laura Poitras trouve l'angle juste pour ne pas tomber dans l'hagiographie et éviter un discours ennuyeux. Sans oublier la qualité artistique des images et l'intelligence du montage.

 

 

 

Le résultat est un film touffu où on aborde limpidement plusieurs sujets, tous reliés à la vie personnelle ou aux engagements artistiques et militants de Nan Golding. Enfance américaine dans les années 1950, maladie mentale, sida, drogue et refus du conformisme ambiant. Mais dans les années 1990, la famille Sackler, à travers ses laboratoires pharmaceutiques, met en vente, et place dans le monde médical et de façon très agressive, un opiacé contre la douleur, en affirmant qu'il n'a pas de pouvoir addictif. Il a été prouvé depuis que cela était faux et que les fabricants le savaient. Tout en lançant des campagnes de publicité auprès des médecins pour prescrire ce médicament. Devant ces milliers de morts par overdose, de nombreuses associations voient le jour.

 

 

Grâce à la richesse obtenue dans l'industrie pharmaceutique, la famille Sackler a acquis une stupéfiante collection d’œuvres d'art et une notoriété internationale dans le mécénat. De nombreux musées, suite à des dons très généreux, ont baptisé des salles, voire des ailes entières au nom de la famille. Ce qui révulse Nan Golding en tant qu'artiste. Avec son association, elle organise des manifestations devant ces musées pour dénoncer les agissements de cette famille et demander le retrait de leur nom associé à des œuvres d'art.

 

 

 

La réalisatrice s'appuie sur des images d'archives et le travail de la photographe, dont les clichés et les montages diapo prennent alors tout leur sens. Témoins des changements d'une société, d'une tendance artistique qui met l'individu au cœur du projet, avec des couleurs aussi crues que le radicalisme de ces jeunes gens dans les années 1970, dans la terreur et le deuil des années sida, l’œuvre et les combats de Nan Golding se rejoignent de façon plus raisonnée, plus structurée, face à la famille Sackler. Laura Poitras construit un documentaire riche et émouvant, dont le titre poétique et énigmatique, Toute la beauté et le sang versé trouve son origine au cœur même de la vocation artistique de Nan Golding.

 

 

 

 

Magali Van Reeth