(de Maïwenn. France, 2022, 1h53. Avec Johnny Depp, Maïwenn, Benjamin Lavernhe. Festival de Cannes 2023, film d'ouverture)

 

20 mai 2023 (Anne Le Cor) - Bizarrement, relativement peu de films ont été réalisés sur Jeanne du Barry, la favorite du roi Louis XV dans ses vieux jours. Voilà qui est grandement corrigé grâce à Maïwenn. Dans son long-métrage éponyme, Jeanne du Barry, la réalisatrice, qui incarne le rôle principal, ne se laisse pas impressionner par l’époque et impose son regard sur la cour de Versailles et ces personnages de l’histoire de France qui ont bâti son prestige et sa légende.

 

 

Le film se déroule principalement à Versailles. Jeanne y est introduite à la cour du roi dans le seul but d’y partager sa couche. Petite enfant bâtarde, peu de solutions s’offraient à elle et à sa mère pour survivre. C’est au bordel où elle officie qu’elle rencontre Jean du Barry, un libertin ambitieux qui ne rêve que de l’introduire auprès du roi. Le Duc de Richelieu se charge de jouer les entremetteurs. L’attirance entre le monarque vieillissant et la jeune courtisane est immédiate.

 

 

Même s’il retrace la vie de la favorite, Jeanne du Barry n’est pas un biopic. C’est avant tout une histoire d’amour entre le roi Louis XV et sa maîtresse. Plus que sur les étapes de sa vie le film insiste sur le tempérament de la comtesse. Maïwenn a voulu avant tout approfondir les relations humaines et montrer les paradoxes de son héroïne. 

 

Sous les traits de Maïwenn elle-même on découvre une jeune femme sensuelle, naturelle et spontanée. Se montrant les cheveux lâchés et bousculant les codes figés et ridicules de la cour, sa fantaisie fait mouche auprès du roi. Son côté maternel est aussi montré à travers son attachement pour son beau-fils ou son petit page noir Zamor. C’est une femme libre certes mais aussi une femme de son temps et dans son interprétation Maïwenn a su trouver l’équilibre entre l’époque et l’intemporel. Le film n’est ni trop moderne ni anachronique.

 

Qui pour incarner le roi de France ? La réalisatrice a jeté son dévolu sur un comédien venant du fin fond du Kentucky, la star hollywoodienne Johnny Depp. Et ça marche ! L’acteur américain est très crédible tant il a su trouver l’attitude juste pour incarner le souverain qui doit diviser sa personnalité pour s’adapter à chacun tout en gardant ses distances. Il parle assez peu mais quand il le fait c’est dans un français presqu’impeccable qu’une légère pointe d’accent ne gène aucunement. Il s’est fait aider d’une professeure de français dans sa préparation à l’utilisation de la langue de Molière. Elle lui a appris à bien positionner sa bouche afin de maîtriser, entre autres, le fameux R français si redoutable pour des palais formés à la langue anglaise.

 

 

La complicité entre Maïwenn et Johnny Depp transparaît dans le film et se retrouve à l’écran dans les sentiments qu’éprouvent le roi et sa favorite. Une autre complicité crève l’écran pourtant, celle avec le premier valet La Borde, interprété avec brio par Benjamin Lavernhe. C’est le personnage le plus proche du roi et il a fallu aux deux acteurs trouver comment exprimer une forme d’intimité alors qu’ils n’échangent que peu de paroles. C’est dans leurs regards qu’il faut trouver l’expression de leur connivence.

 

La Borde se montre aussi amusé et charmé par la fantaisie de Jeanne, contrairement aux filles du roi et à la cour royale pétrie d’apparat et de mesquineries, où lorsqu’une seule phrase de la jeune Marie-Antoinette à l’égard de Jeanne prend des proportions démesurées. La Dauphine d’ailleurs de s’exclamer au sujet de l’étiquette « C’est grotesque !», ce à quoi rétorque La Borde « C’est Versailles ! »

 

Versailles et son château qui sont le décor du film. Le palais apparait comme un personnage immobile, un témoin silencieux mais dont les saisons qui le traversent sont au diapason des flux et des reflux de la vie de Jeanne. Les images sont superbes, des ciels nuageux aux marches interminables du grand escalier que la comtesse monte à toute allure comme pour mieux symboliser son ascension.

 

Maïwenn a voulu faire de Louis XV et de la comtesse du Barry de véritables personnes et non des personnages historiques. Elle insiste sur leur histoire d’amour plutôt que sur les moments clés de leurs biographies. Elle a su trouver un angle à la fois personnel et universel pour rendre plus réels ces petits instants de vie qui font la grande Histoire.

 

 

 

Anne Le Cor