(de Mona Achache. France, 2023, 1h34. Avec Marion Cotillard. Fiction documentaire. Sélection officielle Festival de Cannes 2023)

 

 

15 novembre 2023 (Magali Van Reeth) – La richesse d'un documentaire, c'est avant tout sa forme, où la création artistique colle à l'intention de la cinéaste, où la mise en scène dépasse les conventions techniques pour approcher l'incarnation du sujet. Mona Achache, en évoquant sa lignée maternelle et le statut des femmes au 20° siècle, avec l'aide de la comédienne Marion Cotillard, réalise un film aussi émouvant que surprenant.

 

 

L'émotion affleure dès la première scène. Dans un silence envahissant, Marion Cotillard se met à nu, presque apeurée, pour endosser le costume de son personnage que lui tend la réalisatrice. Très peu de dialogue et pourtant, on sent derrière ces simples vêtements, ce collier à grosses perles, cette bouteille de parfum désuet, un passage de relais lourd de questions, de ressenti et d'attentes.

 

 

A l'occasion d'un déménagement, Mona Achache a ouvert les boîtes d'archives laissées par sa mère après sa mort. Des dizaines de carnets, journal intime d'une femme indépendantes dans le milieu intellectuel parisien des années 1960. Des photos de famille, des enregistrements audio, des films et des livres dont un sur sa propre mère, elle aussi femme libre et aimant écrire. On descend l'arbre généalogique en cascades et soubresauts. La réalisatrice décide d'enquêter sur ce personnage, dont elle n'a connu qu'une facette, pour tenter de comprendre les blessures de sa propre enfance, les choix parfois douteux de cette femme si intelligente.

 

Dans les carnets de Carole, Mona et Marion rejouent le compagnonnage avec des écrivains célèbres, Jean Genet ou Jorge Semprun, les amants, les réflexions pertinentes sur une vie de femme et de mère mais aussi des propos très triviaux. Dans ce souffle de renaissance qui a emporté Paris à la fin de la guerre, la liberté sexuelle prenait le pas sur la morale bourgeoise, et en voulant éveiller la curiosité des enfants, on le mettait parfois en danger. La réalisatrice cherche plus à comprendre qu'à accuser, à trouver l'amour dont elle a manqué plutôt qu'à juger une femme absorbée dans son temps.

 

La mise en scène est brillante. En alternant les images d'archives familiales, les photos trouvées dans les boîtes, les enregistrements originaux, les extraits d'actualité de l'époque, et les scènes où l'actrice parle avec la voix de Carole, on a réellement l'impression d'être emporté dans cette spirale familiale. Où parfois tout se brouille comme dans nos souvenirs, Monique se superposant sur Carole qui trouble l'image de Mona. Marion Cotillard disparaît peu à peu derrière son personnage, une performance rare, à la hauteur du talent de l'actrice. On ne voit plus la comédienne célèbre d'aujourd'hui, on est avec cette femme inquiète, disparue il y a quelques années, dont la réalisatrice cherche des preuves d'amour et de tendresse.

 

 

Comme toute la construction du film, le décor a été minutieuse pensé, préparé, monté. Un plateau avec beaucoup de boiseries et de fenêtres, évoquant à la fois un appartement lumineux et un décor de théâtre pour huis-clos. Aux murs, des centaines de photos, Monique la grand-mère, Carole la mère et Mona la fille. Et des hommes, nombreux à s'appeler Jean, des inconnus et des écrivains célèbres. La couleur bleu est déclinée comme une symphonie, des vêtements de la réalisatrice à ceux de la comédienne, en passant par des représentations classiques de la Vierge, statues ou peintures. Bleu aussi la fumée impalpable des trop nombreuses cigarettes, fumées pour cacher le silence des mots et les regrets des filles.

 

On est profondément touché par ce film dont le titre reprend celui d'une chanson triste de Janis Joplin, Little Girl Blue. Mona Achache ne cherche pas à accuser sa mère mais à la comprendre, qui elle était vraiment au milieu des courants de l'époque dans laquelle elle évoluait. En tenant à distance le drame et les condamnations, en restant toujours pudique, elle fait de son film une sorte d'apaisement. Son histoire et sa quête mènent alors vers quelque chose de plus grand, que nous pouvons tous partager. C'est un cinéma inventif, créatif, avec des images poétiques, des moments drôles (la pause thé de l'actrice), qui évoque bien la tendresse manquée, la mélancolie des moments qu'on n'a pas su saisir. En faisant revivre de façon fugace et insaisissable celles qui ont disparu, la réalisatrice nous offre un moment de grâce à l'écran.

 

 

 

 

Magali Van Reeth