(de Bruno Podalydès. France, 2021, 1h35. Avec Denis Podalydès, Sandrine Kiberlain, Bruno Podalydès. Label Festival de Cannes 2020)

 

 

20 juin 2021 (Blandine Brunel) - Bruno Podalydès, accompagné de son frère Denis, nous propose une comédie burlesque, satire d’une société qui valorise la “start-up nation” à outrance, allant jusqu’à uberiser tous nos actes quotidiens.

 

Alexandre, cinquantenaire avec deux enfants en bas âge, une femme sous-marinière dont il est séparé et un compte à découvert trouve un nouveau travail à The Box.

Tel est le point de départ d’une intrigue qui servira l’esprit comique du film grâce aux quiproquo rythmant l’histoire, tout en dénonçant une société remplie d’individus qui s’attachent plus aux biens matériels, qu’aux liens immatériels qui nous unissent. The Box coche toutes les cases de l’entreprise nouvelle génération : bonbons et potager collaboratif au sein d’un open-space impersonnel, où aucun bureau n’est attitré et où les réunions de travail prennent place autour d’une table de ping-pong installée dans le hall. Autre caractéristique : des leitmotiv “positive attitude” placardés sur de nombreuses affiches à l’intérieur des locaux, dont l’important “NO CHILD” : “si on a des enfants, on se tire de la boite”.

 

 

Cette obligation d’une vie de famille absente donne évidemment lieu à des situations comiques, mais permet de nourrir notre réflexion et notre rapport au travail que questionne Bruno Podalydès dans ce film. Jusqu’où est-on prêt à aller pour garder un emploi (et par là, assurer sa survie financière) ? Où poser la frontière entre vie professionnelle et vie privée ? En assumant une politique No Child et une disponibilité 24h sur 24, nos héros sont incapables de préserver une vie sociale et un épanouissement hors-travail jusqu'à en arriver à déléguer les tâches les plus anodines de notre quotidien : rendre un objet à quelqu’un, envoyer un sms, déposer ses enfants à la crèche… Cette difficulté de positionnement met dans l’embarras de façon équivalente les personnages féminins et masculins, une égalité de traitement bienvenue alors que dans notre société, c’est encore trop souvent sur les femmes uniquement que repose cette ambivalence et cette pression.

 

 

Si le film rend ces situations absurdes à l’aide de personnages qui forcent le trait, c’est cependant une situation qui touche chaque actif : Il y a ceux qui ont un travail mais doivent déléguer leur travail familial, leur rôle d’éducateur comme parent (Alexandre, débordé par le célibat et son nouveau travail), et ceux qui, précaires, multiplient les missions, comme Arcimboldo, pour joindre les deux bouts (baby-sitter, chargeur de drones, gardien de nuit, manifestant !). À l’absurdité du monde qu’il nous donne à voir et qu’il dénonce : Arcimboldo manifeste durant 1h, en homme-sandwich, pour quelqu’un qui n’ose pas aller manifester lui-même, par crainte des violences policières ; Bruno Podalydès oppose une solidarité manifeste entre les personnages principaux et secondaires qui sont au service les uns des autres.

 

Les 2 Alfred, deux singes ne formant qu’un seul doudou, donnent leur nom au film et sont finalement à l’image des deux frères Podalydès : Bruno et Denis, deux acteurs qui forment ensemble un binôme qui éclaire et revigore le cinéma pour leur dixième collaboration.

 

 

Blandine Brunel