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(de Maryam Touzani. France/Maroc/Belgique 2022, 2h04. Avec Lubna Azabal, Saleh Bakri, Ayoub Missioui. Festival de Cannes 2022, sélection Un Certain Regard, prix Fipresci)
22 mars 2023 (Magali Van Reeth) – Dans la médina de Salé au Maroc, Halim et sa femme Mina tiennent une boutique de caftans traditionnels. C'est un couple uni par une tendre complicité et le secret de l'homosexualité d'Halim, qui l'étouffe. Un récit pudique et doux porté par des images splendides.
Comme Halim, artisan de la broderie traditionnelle, Maryam Touzani bâtit son film minutieusement, attentive à chaque détail, soucieuse de la construction de chaque personnage, de chaque plan, gommant les dialogues inutiles et les explications redondantes. Si elle dénonce la lourdeur d'un milieu conservateur, et parfois hypocrite, elle n'oublie ni le cinéma, ni les spectateurs.
Halim est un homme dont le visage respire la bonté, un taiseux profondément amoureux de sa femme mais déchiré par son homosexualité (suggérée discrètement par les séances au hammam), encore considérée comme un crime au Maroc. Son travail est sa passion mais il est lucide quant à son avenir. Mina est une femme joyeuse, elle sait rabrouer les clientes arrogantes, charmer les vendeurs de mandarines sur le marché. C'est aussi une femme pieuse qui, jusqu'à son dernier souffle, fera ses prières quotidiennes. Elle a parfaitement conscience que dans cette société patriarcale, Halim a été un mari merveilleux.
Mina et Halim ont pris du retard dans les commandes et engagent un nouvel apprenti, Youssef. Ils craignent que, comme les précédents, il parte très vite pour un travail moins minutieux, moins exigeant. Mais bientôt, une autre inquiétude apparaît qui va bouleverser leur quotidien.
Virginie Surdej est la directrice photo de ce très beau film. La lumière dans le minuscule atelier du tailleur réussit à nous donner la sensation physique de toucher les tissus, satin ou velours de soie, rose pétillant, imprimé floral ou bleu pétrole. Youssef l'apprenti fait tournoyer les fils d'or dans un scintillement frénétique. Dans l'appartement du couple, la simplicité d'un panier de mandarines réchauffe le cœur et lorsque les personnages se mettent à la fenêtre pour fumer, ou regarder la vie qui continue à l’extérieur, les cadres, par leur clair-obscur, évoquent la peinture hollandaise classique.
Le film est porté par deux acteurs à la carrière impressionnante et toujours justes dans leurs différents rôles. Lubna Azabal donne à Mina sa force fragile, une femme décidée à protéger son mari et à revendiquer une part de liberté au fur et à mesure que la mort approche. Saleh Bakri, immense acteur palestinien, fait passer toutes les émotions de son personnage à travers des regards, des gestes à peine esquissés mais qui montrent toute la complexité de ses émotions, de ses désirs et de son chagrin.
La broderie des caftans, ce vêtement traditionnel des pays du Moyen-Orient, exige un savoir-faire particulier car il est difficile d’appliquer le fil des motifs à volutes sans tendre ou déformer le tissu. Non seulement les artisans dépositaires de cette pratique ont aujourd'hui du mal à recruter des apprentis mais les caftans brodés à la machine sont plus rapides à réaliser et beaucoup moins cher. La peine d'Halim est aussi complexe et discrète que la perfection de ses broderies : dans les spirales des fils d'or, il tisse silencieusement le deuil de son métier, de sa femme, d'une vie impossible à mener au grand jour dans le milieu très conservateur auquel il appartient.
Avec ce récit tendre et pudique, presque réservé, Maryam Touzani montre la force de l'amour et du respect, au-delà de toute question de sexualité. Le Bleu du caftan est un film d'apaisement : la belle lumière, les superbes images, le brouhaha quotidien de la médina qui accompagne sans cesse la bande-son à l'arrière-plan, penchent résolument du côté de la vie, comme les dernières images du film le montrent.
Magali Van Reeth