(de Rodrigo Sorogoyen. Espagne/France, 2019, 2h09. Avec Marta Nieto, Jules Porier. Festival de Venise 2019.)

 

 

25 juillet 2020 (Magali Van Reeth) – Mise en scène à la façon d'un film policier, l'histoire d'une femme face au deuil de son enfant et à une réparation qui passe par des chemins surprenants. Du cinéma captivant !

 

 

Après deux films policiers très réussis, Que Dios nos perdonnes (2016) et El Reino (2018), Rodrigo Sorogoyen délaisse l'intrigue criminelle et politique pour un drame intime, le deuil d'une mère et sa fascination pour un jeune homme qui pourrait être son fils. Des mères, il en est beaucoup question dans ce récit : mère, grand-mère, mère en deuil, mère protectrice, nouvelle mère, le tout au bord de la mer où le goût de l'amer est très présent... Rodrigo Sorogoyen sait très bien rendre une ambiance particulière et les superbes paysages au bord de l'océan sont tour à tour teintés de chagrin ou d'effroi.

 

 

La mise en scène fait la part belle aux cadres et à la place de la caméra, avec deux longs plans-séquences d'anthologie dont le premier est l'ouverture du film. Elena et sa mère se préparent à partir au spectacle quand un appel d'Yvan (son fils de 6 ans) lui apprend qu'il est seul sur une plage et qu'un homme le regarde. Dans cet appartement lumineux, la tension monte en spirale. Elena tente de rassurer son fils puis lui conseille de se cacher, les deux femmes essaient de joindre d'autres personnes au téléphone, des amis du père, la police et Elena, affolée, finit par partir sans même claquer la porte derrière elle.

 

On la retrouve 10 ans plus tard sur une plage du pays basque (côté français) où Elena vit désormais et semble avoir refait sa vie. Elle travaille dans une brasserie du bord de mer et a un amant avec qui elle envisage de vivre définitivement. Mais a t-elle vraiment ''refait sa vie'' puisque elle arpente toujours le lieu où son fils a disparu ? Jean, un jeune homme croisé par hasard, va bouleverser ses projets.

 

 

Elena est une mère en souffrance, certains la surnomment ''la folle de la plage'', Jean est un adolescent hâbleur, arrogant, charmant et culotté,fier comme un coq de constater qu'une jolie femme le suit. Après les tensions de l'ouverture, c'est peu à peu l’ambiguïté qui va dominer le ton du film. Face à ce jeune homme encore enfant, Elena ne peut résister à son désir de le voir, de le connaître, de le toucher. A16 ans, la sensualité de Jean est en émoi, son désir d’émancipation aussi présent que sa naïveté. On craint le pire, le calme revient puis à nouveau la tension remonte vers le drame.

 

 

Le second plan-séquence remarquable arrive dans ce moment où la tension s'est apaisée. Sur la grande terrasse d'un chalet de montagne, à contre-jour, Elena retrouve son ex-mari. Au fond, la forêt dans ses premières couleurs d’automne, et devant, leurs deux silhouettes face à face, à contre-jour. On ressent l'humidité, les premiers froids, peut être un peu de buée sort de la bouche de l'homme qui parle. Elle ne veut rien boire, il commande une autre bière, ils se parlent difficilement et lorsque enfin, des mots vrais sont échangés, le froid survient brusquement. Une fois encore, Elena s'enfuit précipitamment, affolée. Son départ clôt un grand moment de cinéma !

 

 

Rodrigo Sorogoyen fait aussi un clin d’œil au peintre Edward Hopper, un maître quand il s'agit de mélanger dans un même tableau la douceur d'un lieu et la violence du ressenti des personnages. La mère de Jean est venue voir Elena, elle est assise dans un coin du café. L'ambiance matinale est très douce et pourtant, on ressent une grande tension, la peur et le désarroi percent dans la belle lumière de la plage aperçue par la baie vitrée. Encore une fois, Elena se lève et quitte l'écran.

 

Madre ne résout aucun crime, ne traque personne mais distille en permanence des sensations fortes, ambiguës, presque malsaines. Le récit part avec légèreté sur des tournants sinueux, on est souvent surpris par le scénario, bluffé par la mise en scène. L'actrice Marta Nieto donne au personnage d'Elena toute sa dimension dramatique et fait exister, sans la faire passer pour complètement folle, une femme qui, pendant 10 ans, cherche son fils sur une plage où la mer couvre sans cesse ce qu'elle découvre...

 

 

 

Magali Van Reeth