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(de Philippe Beziat. France, 2020, 1h 48. Documentaire)
27 juin 2021 (Magali Van Reeth) – L'Opéra Bastille à Paris a accueilli pendant quelques mois un groupe de danseurs de hip-hop, break, krump ou flexing pour monter un opéra classique. Une expérience totalement nouvelle que retrace ce bouleversant documentaire.
En 2017, l'Opéra de Paris demande à l'artiste et cinéaste Clément Cogitore de monter l'opéra de Jean-Philippe Rameau, les Indes galantes, créé en 1735. C'est l’œuvre la plus connue du compositeur et la faiblesse du récit est compensé par la musique admirable, les notes métalliques du clavecin, la présence de nombreux danseurs et la possibilité d'une mise en scène exubérante.
L'histoire de cet opéra montre la fascination du 18° siècle européen pour un nouveau monde, entre le frisson de l'exotisme et le désir de colonisation. Clément Cogitore y trouve une lecture contemporaine de nos sociétés où se mêlent tant d'origines diverses et décline le mythe du ''bon sauvage'' de Rousseau à travers les danses actuelles les plus surprenantes, issues de la rue. Il veut ''montrer la jeunesse de Paris en train de prendre la Bastille''. Arrivent alors dans les salles d’entraînement de l'Opéra de Paris de jeunes danseurs de hip-hop, break, krump, flexing. La surprise est totale, d'un côté comme de l'autre...
Avec la chorégraphe Bintou Dembélé, venue de la culture hip-hop et travaillant autour des thèmes de la colonisation et du marronnage, le chef d'orchestre Leonardo Garcia Alarcon, spécialiste de la musique baroque, les chanteurs lyriques, notamment Sabine Devieilhe, et tous les techniciens de l'Opéra de Paris (costumes, machinistes, décorateurs, et autres spécialistes), ils vont au fil des mois et des répétitions, s'adapter les uns aux autres pour réussir cette expérience unique.
Le film est fascinant dans sa façon de montrer une œuvre en train de se construire, non pas le spectacle d'un spectacle mais une véritable création où tout se tisse au fil des jours et des répétitions. Il faut choisir les danseurs, aucun ne connaît ce monde fermé de l'opéra, si ce n'est à travers l'idée que ''c'est pour les riches'' et la musique classique. Mais il faut aussi que les musiciens et les chanteurs lyriques acceptent de se laisse bousculer par l'incroyable énergie de ces jeunes à l'exubérance communicative. Dans l'espace bien délimité de la scène, il faut gérer cette présence corporelle, créer une nouvelle harmonie entre deux façons de travailler. Et l'instant magique arrive où les rappeurs se mettent à chanter du Rameau et où les chanteurs du chœur de l'Opéra ondulent à l'unisson avec les danseurs.
Ils sont déroutants ces jeunes dont la danse exprime souvent de la violence et qui, au soir de la première représentation devant le public, se réunissent en cercle pour prier et rendre grâce dans un instant très émouvant. Leur humour est ravageur (face à une journaliste qui écorche le prénom de Rameau) et leur lucidité bouleversante, comme lorsque l'un d'eux constate, en parlant des spectateurs habitués du lieu : ''Ce n’est pas eux qui sont venus nous voir, c’est nous qui sommes venus les voir''. Stupéfaits par la réaction enthousiaste du public, ils reconnaissent qu'eux aussi sont plein de clichés et d'idées toutes faites sur ''les autres''.
Le réalisateur Philippe Beziat, habitué à filmer des spectacles musicaux plus classiques, se laisse lui-aussi toucher par la vitalité de ces danseurs. S'il choisit un montage ''comme une symphonie, avec des temps forts, des adagios, des creux, des pauses et des tempêtes'', il quitte aussi le bâtiment de l'opéra Bastille pour aller chez les danseurs, écouter leur histoire et celles de leurs ancêtres, regarder leurs photos de famille et suivre leurs images sur les réseaux sociaux. Le spectateur du film sera un peu perdu dans le récit de cet opéra – le film ne raconte pas, il montre - mais, touché par l'énergie de cette jeunesse de France, par la beauté du spectacle, la puissance des chorégraphies, le chatoiement des costumes, il a souvent les larmes aux yeux.
Magali Van Reeth
On peut voir gratuitement le court-métrage réalisé par Clément Cogitore en prélude à cet opéra : les indes galantes https://www.youtube.com/watch?v=9h9HP-VOJv4