(de Jessica Hausner. Autriche/Royaume-Uni/Allemagne/France, 2023 , 1h50. Avec Mia Wasikowska, Sidse Babett Knudsen, Elsa Zylberstein, Mathieu Demy. Compétition officielle Festival de Cannes 2023 )

 

27 septembre 2023 (Chantal Laroche Poupard) - Comme elle l’a montré dans son précédent long-métrage Little Joe en lice à Cannes 2019, Jessica Hausner manie avec génie cette ambiance étrange presque angoissante, rythmée par une mise en scène rigoureuse rappelant celle du cinéma de son contemporain autrichien Michael Haneke. 

 

Club Zero présenté en compétition officielle à Cannes en 2023, pourrait presque s’apparenter à un thriller malgré l’apparence trompeuse de l’insouciance des élèves que Miss Novak, au nom de la protection de l'environnement, va mener vers l’endoctrinement cynique et tragique de ce Club Zero. 

 

 

Ce qui frappe d’emblée dès les premières séquences, c’est le sourire glacial et douceâtre qui se mêle à l’étrangeté inquiétante de Miss Novak, arrivée dans un lycée privé très chic pour donner un cours de « nutrition consciente » aux élèves. Bousculant les habitudes alimentaires des jeunes gens dont elle a la charge, elle expose la méthode qu'elle prône : il s’agit par exemple de respirer avant d'avaler sa tablette de chocolat et ainsi de prendre conscience de son alimentation qui serait, selon elle, un moyen de participer à la protection de l'environnement.

 

Certains élèves, en quête d’idéal ou facilement influençables, vont rapidement adhérer à cette pratique qui cependant ne s’arrête pas là. Il s’agit maintenant de ne plus manger du tout pour gagner une éternelle jeunesse et pour accéder à une pratique de « développement personnel » que ce « club » propose. Quant au « zero », il est un symbole paradoxal, à la fois de renouvellement mais aussi de destruction et d’anéantissement. L’attitude de Miss Novak au gant de velours mais à la main de fer vient souligner la pensée sectaire qu’elle propage dans ce cours effectué dans une ambiance quasi dictatoriale coïncidant parfaitement à son physique raide et à son habillement strict.

 

L’emprise de son autorité est d’autant plus forte que ces élèves cherchent un guide spirituel alors que la relation parents-enfants est défaillante. Miss Novak n’éveille ni les soupçons des parents - interprétés entre autres par deux comédiens français, Elsa Zylberstein et Mathieu Demy - ni ceux des professeurs et encore moins ceux des élèves subjugués. N’éveillant pas plus la méfiance de la responsable de l'établissement d'excellence, incarnée par la Danoise Sidse Babett Knudsen, elle mène subrepticement ses élèves vers ce Club Zero. Certains parents finissent par se rebeller et critiquer les méthodes, car un élève tombe malade, mais il est trop tard, car d’autres élèves tombent, eux aussi, mais sous l’influence sectaire de cette professeure tyrannique.

 

 

Jessica Hausner démontre sa capacité à mettre en image et en musique l'emprise dans toute sa dimension. Le film est rythmé par des tam-tams frénétiques, par une musique atonique oppressante. A cette histoire sombre s’opposent des couleurs vives et chatoyantes : au rouge et au vert que l'on retrouve souvent dans les décors des films de Jessica Hausner s'ajoutent la couleur jaune et la couleur violette des uniformes des lycéens, costumes choisis par la sœur de la réalisatrice, Tanya Hausner. L’organisation de l'espace est soigneusement agencée et les élèves évoluent dans des décors parfaitement ordonnés et aseptisés, tandis que Mia Wasikowska interprète avec minutie et rigueur le rôle terrifiant de Miss Novak.

 

Ce film percute avec des scènes insupportables qui retournent l’estomac au sens propre comme au figuré, nous plongeant, comme le film Sans filtre, Palmed’Or 2022 de Rubens Östlund, dans l’art du malaise. Maniant l’humour ciselé, la cruauté innommable, le cynisme acerbe, Jessica Hausner met-elle cependant en garde toute personne susceptible d’être influencée ou manipulée ? Son message sonne-t-il comme un appel à la vigilance alors que la mort ambiguë des jeunes élèves récompensés de leur comportement docile et endoctriné les conduit au Jardin d'Éden de ce Club Zero ?

 

 

 

Chantal Laroche Poupard