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(d’Albert Serra. France/Espagne, 2015, 1h55. Sélection officielle Festival de Cannes 2016)
28 novembre 2016 (Bernard Bourgey) - Albert Serra, réalisateur catalan de 41 ans, offre avec cette Mort de Louis XIV une œuvre moins expérimentale que ces quatre films précédents. Puisant dans les Mémoires de Saint-Simon et dans celles du Marquis de Dangeau, il nous installe au pied du lit du roi qui se meurt lentement et fait de nous spectateurs, comme les membres d’une famille qui veilleraient un proche, contribuant à effacer la distance que les siècles et la pompe versaillaise ont pu mettre entre le royal mourant et nous.
A la fin du film de Rossellini La Prise du pouvoir par Louis XIV (1966) Jean-Marie Patte qui incarne le Roi-Soleil médite cette maxime de La Rochefoucauld: ''Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement''.
Comme pour prendre le contre-pied de cette affirmation, Albert Serra nous oblige au contraire à regarder la mort en face, de façon clinique, en donnant à chaque journée, à chaque heure un poids terrifiant du temps irréversible entre le moment où le mourant avale encore un peu de nourriture et boit péniblement une gorgée, et celui où sa bouche reste fermée à l’eau qu’on essaye de lui ingurgiter et qui va couler le long des lèvres.
Albert Serra travaille l’épure et l’immobilité, son film est austère sans jamais être aride, nous invitant à apprécier la lenteur dans le défilé des conseillers, des ecclésiastiques qui permettent au roi d’assister à la messe depuis son lit, tout en ménageant des moments de drôlerie avec des médecins qui nous renvoient à Molière par leur incurie quand ce n’est pas leur charlatanisme.
Notre proximité du lit d’agonie donne une étonnante matérialité aux tissus et aux objets : on a envie de tendre la main pour caresser les velours et les dentelles ou tenir entre nos doigts le lourd verre en cristal que l’on approche des lèvres du roi.
La beauté de l’image est due aux splendides lumières de Jonathan Ricquebourg qui plongent le film dans le mordoré de Rembrandt et le clair-obscur de Georges de La Tour et de Caravage.
En s’attardant sur un corps qu’il filme au plus près, le cinéaste nous sensibilise à cette vérité implacable que chez le plus grand des rois autant que chez le plus modeste de ses sujets, la maladie et l’agonie finissent par occuper tout l’espace, ce jusque dans le confort et la lumière tamisée d’une vaste chambre royale.

En choisissant contrairement à son habitude, un acteur professionnel pour incarner ce corps souffrant, Albert Serra sacralise Jean-Pierre Léaud, lequel avec une économie de gestes et de paroles, a une telle présence dans son petit rire étouffé, dans les expressions de son visage et les quelques gestes de ses mains, dans son plaisir à caresser ses chiens ou dans sa gravité de monarque à donner ses conseils à son arrière-petit-fils futur roi, qu’il restera au cinéma pour longtemps l’incarnation de Louis XIV mourant !
Bernard Bourgey
28 novembre 2016 (Bernard Bourgey) - Albert Serra, réalisateur catalan de 41 ans, offre avec cette Mort de Louis XIV une œuvre moins expérimentale que ces quatre films précédents. Puisant dans les Mémoires de Saint-Simon et dans celles du Marquis de Dangeau, il nous installe au pied du lit du roi qui se meurt lentement et fait de nous spectateurs, comme les membres d’une famille qui veilleraient un proche, contribuant à effacer la distance que les siècles et la pompe versaillaise ont pu mettre entre le royal mourant et nous.
A la fin du film de Rossellini La Prise du pouvoir par Louis XIV (1966) Jean-Marie Patte qui incarne le Roi-Soleil médite cette maxime de La Rochefoucauld: ''Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement''.
Comme pour prendre le contre-pied de cette affirmation, Albert Serra nous oblige au contraire à regarder la mort en face, de façon clinique, en donnant à chaque journée, à chaque heure un poids terrifiant du temps irréversible entre le moment où le mourant avale encore un peu de nourriture et boit péniblement une gorgée, et celui où sa bouche reste fermée à l’eau qu’on essaye de lui ingurgiter et qui va couler le long des lèvres.
Albert Serra travaille l’épure et l’immobilité, son film est austère sans jamais être aride, nous invitant à apprécier la lenteur dans le défilé des conseillers, des ecclésiastiques qui permettent au roi d’assister à la messe depuis son lit, tout en ménageant des moments de drôlerie avec des médecins qui nous renvoient à Molière par leur incurie quand ce n’est pas leur charlatanisme.
Notre proximité du lit d’agonie donne une étonnante matérialité aux tissus et aux objets : on a envie de tendre la main pour caresser les velours et les dentelles ou tenir entre nos doigts le lourd verre en cristal que l’on approche des lèvres du roi.
La beauté de l’image est due aux splendides lumières de Jonathan Ricquebourg qui plongent le film dans le mordoré de Rembrandt et le clair-obscur de Georges de La Tour et de Caravage.
En s’attardant sur un corps qu’il filme au plus près, le cinéaste nous sensibilise à cette vérité implacable que chez le plus grand des rois autant que chez le plus modeste de ses sujets, la maladie et l’agonie finissent par occuper tout l’espace, ce jusque dans le confort et la lumière tamisée d’une vaste chambre royale.

En choisissant contrairement à son habitude, un acteur professionnel pour incarner ce corps souffrant, Albert Serra sacralise Jean-Pierre Léaud, lequel avec une économie de gestes et de paroles, a une telle présence dans son petit rire étouffé, dans les expressions de son visage et les quelques gestes de ses mains, dans son plaisir à caresser ses chiens ou dans sa gravité de monarque à donner ses conseils à son arrière-petit-fils futur roi, qu’il restera au cinéma pour longtemps l’incarnation de Louis XIV mourant !
Bernard Bourgey