(de Léa Fehner. France, 2023, 1h39. Avec Khadija Kouyaté, Héloïse Janjaud, Myriem Akheddiou, Quentin Vernede, Tarik Kariouh, Lucie Mancipoz. Prix œcuménique Berlinale 2023, section Panorama)

 

 

27 mars 2023 (Anne Le Cor) - Quand ''le plus beau métier du monde'' est en crise, c’est toute notre humanité qui vacille. Les sages-femmes sont au cœur du dernier long-métrage de la scénariste et réalisatrice Léa Fehner. Son film éponyme se déroule au cœur de l’hôpital public et en dénonce les dérives actuelles. En suivant le parcours de deux jeunes accoucheuses, Sages-femmes nous plonge au centre des tensions d’un métier exigeant où bonheurs et drames s’entremêlent. 

 

 

Pour Louise et Sofia c’est le premier jour de leur nouvelle vie de sage-femme au sein de la maternité d’un hôpital. Après cinq années d’études les voilà confrontées à la dure réalité du métier. Les deux amies vivent cette journée à leur manière et la suite de leur apprentissage ne manquera pas de les faire tanguer à la fois personnellement et professionnellement.

 

 

 

Les toutes premières scènes donnent le ton du film et l’on se demande si l’on n’est pas dans un documentaire tant le réalisme des situations saute aux yeux. Le rythme est constant et effréné à la mesure de l’urgence à laquelle sont confrontées les sages femmes à chaque instant. Il y a des pauses cependant qui permettent de mieux apprécier les situations et les personnages qui sont subtilement brossés.

 

 

Dans la philosophie socratique la maïeutique est l’art d’accoucher les esprits. Ici c’est la réalisatrice Léa Fehner qui manie de belle manière l’accouchement des corps et des âmes. Les deux protagonistes ont des personnalités différentes et les forces et faiblesses de chacune d’elles s’inversent au fur et à mesure des événements qu’elles rencontrent, mettant leur amitié au défi.

 

 

Sofia, forte et sûre d’elle, est incarnée par Khadija Kouyaté. Tout de suite dans le bain, son enthousiasme et son énergie ne résistent pas longtemps aux difficultés rencontrées. Quant à Louise, interprétée par Héloïse Janjaud, plus timide et mal à l’aise au début, elle trouve vite sa place parmi les sages-femmes et, avec tact, finit par s’imposer à tous. Les deux actrices mettent beaucoup de sensibilité et de vérité dans l’incarnation de leurs personnages.

 

 

Les rôles secondaires sont tout aussi signifiants. Il y a bien sûr toute la cohorte des accoucheuses, métier hautement féminin. Les hommes ne sont pas absents pour autant. Le jeune stagiaire campé par Quentin Vernede apporte une touche d’émotion et d’humour au milieu de la tension ambiante. Certaines patientes aussi deviennent des personnages à part entière comme une migrante dont les traits tirés expriment toute la détresse et le désespoir de sa situation.

 

 

 

La caméra filme de près les nouveaux nés et les visages émerveillés de leurs parents. À ces instants de bonheur succèdent aussi les moments de drame quand les choses ne se passent pas bien. De l’aveu même de la réalisatrice, son film est politique. Elle dénonce ouvertement la dégradation des conditions de travail à l’hôpital public qui peuvent parfois s’assimiler à de la maltraitance envers les patients.

 

 

Sages-femmes est un film fort et tendre à la fois qui nous plonge dans un tourbillon d’émotions. Six ans après son précédent long-métrage, Les OgresLéa Fehner offre là une réalisation bien maîtrisée et menée tambour battant. Pour son néoréalisme à la française et l’intensité des sentiments qui s’y dégagent le film a reçu le Prix du Jury Œcuménique dans la section Panorama à la Berlinale 2023.

 

 

La motivation du jury œcuménique : "Le film montre l'intensité de leur travail quotidien et les défis que les sage-femmes rencontrent et surmontent. Il montre brillamment les lacunes du système, d'une part, et le dévouement du personnel qui accompagne les femmes sur le point de donner naissance à de nouvelles vies d'autre part. Le mélange des genres entre documentaire et fiction ajoute à l'impact du film''.

 

 

Les membres du jury œcuménique 2023 étaient : Paul De Silva (Canada), Arielle Domon (France), Kerstin Heinemann (Allemagne), Miriam Hollstein (Allemagne) en qualité de présidente, Anne Le Cor (France) et Alberto V. Ramos Ruiz (Cuba)

 

 

 

 

Anne Le Cor