Le 10 décembre 2021, le prix Nobel de la paix a été décerné à deux journalistes, la Philippine Maria Ressa et le Russe Dmitry Muratov, pour « leurs efforts visant à sauvegarder la liberté d’expression, qui est une condition préalable à la démocratie et à une paix durable...Ils sont les représentants de tous les journalistes qui défendent cet idéal dans un monde où la démocratie et la liberté de la presse sont confrontées à des conditions de plus en plus difficiles ».

Le Comité Nobel n’aurait pas pu mieux exprimer le lien indispensable entre la libre communication et la démocratie, et comme « condition préalable à une paix durable ». Le choix des journalistes pour le prix intervient à un moment où, dans le monde entier, nous constatons que les attaques contre les journalistes et la réduction au silence de la presse libre vont de pair avec l’étouffement de la démocratie, parfois par des moyens violents. « La démocratie meurt dans l’obscurité », affirme le slogan d’un journal américain. Des informations fiables, provenant d’un journalisme éthique et professionnel régi par un engagement envers la vérité, sont essentielles à une société démocratique.

L’autoritarisme est en hausse, même dans des endroits auparavant considérés comme démocratiques. En mars 2021 la dernière station de radio indépendante a été retirée des ondes en Hongrie, où le gouvernement Orban a « érodé le pluralisme des médias et la liberté d’expression… et a systématiquement sapé le journalisme indépendant et professionnel ». À Hong Kong, fin juin, le journal prodémocratique Apple Daily a été fermé et son propriétaire et son personnel arrêtés. Aux États-Unis, l’ancien président Trump a qualifié la presse grand public d’« ennemis du peuple » et poursuit le « grand mensonge » selon lequel il a remporté les élections, soutenu par un vaste réseau de médias d’extrême droite qui alimentent un mouvement autoritaire aux États-Unis par la désinformation. Et Dezinformatsiya était le département du KGB qui produisait la propagande ; c’est pourquoi la plupart des Russes ne connaissent de ce qui se passe en Ukraine que la version de M. Poutine, un ancien agent du KGB.

En Afrique, 33 journalistes ont été tués depuis 2016, tandis qu’au Mexique 43 ont été assassinés depuis la fin de l’année 2018. Les lauréats du prix Nobel eux-mêmes ont fait l’objet de tentatives de réduire leur travail au silence : Mme Ressa a été menacée de viol et de mort, tandis que M. Muratov a vu six membres de son équipe assassinés.

La clé d’une grande partie de la stratégie des acteurs malveillants et autocratiques repose en grande partie sur l’utilisation des médias sociaux pour déployer l’une de leurs armes les plus puissantes : la désinformation, qui corrompt la communication humaine et remet en question la notion même de vérité.

Cependant, les efforts visant à réduire au silence la liberté d’expression sont contestés par de nombreuses voix.

Tout d’abord, malgré la violence et la répression ciblées, un grand nombre de rédacteurs en chef et de reporters continuent à assurer leur travail. Nombre d’entre eux considèrent comme une vocation le fait de dire la vérité face à des intérêts puissants – politiques, économiques et même religieux – qui cherchent à l’occulter.

Un certain nombre d’organisations disposant de ressources importantes, du Comité pour la protection des journalistes à Reporters sans frontières, se consacrent à la défense de la liberté de la presse. Ces groupes sensibilisent largement au rôle d’une presse libre, défendent les journalistes emprisonnés et dénoncent ceux qui assassinent les reporters.

Une ré-imagination prometteuse de la tâche journalistique est le concept de journalisme de paix, dans lequel le journaliste choisit soigneusement comment et quoi rapporter de manière à préserver l’intégrité, mais aussi à raconter des histoires de manière à permettre au public de réfléchir à des alternatives à la violence dans les situations de conflit.

Dans un discours prononcé en 2019 devant l’Association de la presse étrangère, le pape François rendait hommage aux journalistes disparus et déclarait sans ambigüité: « La liberté de la presse et d’expression est un indicateur important de l’état de santé d’un pays. N’oublions pas que l’une des premières mesures que prennent les dictatures est d’éliminer la liberté de la presse ou de la bâillonner, de ne pas laisser la presse libre ».

Et puis il y a nous. Notre saint patron, Oscar Romero, nous appelle tous à être des «micros de Dieu» face au mensonge et à l’injustice. En tant qu’association de laïcs, le décret de Vatican II sur l’apostolat des laïcs nous rappelle que « guidés par la lumière de l’Évangile, les laïcs doivent agir directement et de manière définie dans la sphère temporelle. En tant que citoyens, ils doivent coopérer avec les autres citoyens avec leurs compétences particulières et sous leur propre responsabilité ». En tant que communicateurs catholiques, sommes-nous engagés avec nos collègues de la presse ? Leur offrons-nous notre soutien face aux tentatives visant à entraver leur travail ? De plus, quelle est notre relation avec nos collègues catholiques travaillant dans des médias non confessionnels ?

Dans ce numéro, nous tenterons d’examiner tout cela à partir de notre point de vue unique de membres de SIGNIS : le combat de la liberté d’expression et du journalisme basé sur les faits contre l’autoritarisme et la désinformation ; les voix qui défendent la liberté de la presse ; la promesse d’un journalisme de paix ; et enfin le rôle des communicateurs catholiques qui croient que « la vérité vous rendra libres ».

 

Larry Rich

Rédacteur, SIGNIS Media

 


Cet article est disponible dans SIGNIS Media 2022 : Communication, démocratie et paix.